Start-Up Nation - Extrait

Chapitre 1 : J'en ai marre de travailler dans le vent

Thomas, tu as cinq minutes ? fait une voix derrière lui

Thomas tourne la tête et aperçoit Michel, responsable du département « qualité », son chef. Il est 10 heures, l'Open Space est très bruyant, parcouru par des dizaines de groupes se rendant ou revenant de la machine à café. Thomas avait donc son casque sur les oreilles et n'a pas entendu son chef arriver. Heureusement qu'il était réellement en train de travailler et non de prévoir ses prochaines vacances.

Oui, bien sûr, répond-il

Dans mon bureau, précise Michel

Entendu, je prends mon ordi, fait Thomas en débranchant son ordinateur portable

Les quelques mètres qui le séparent du bureau de Michel suffisent à Thomas pour se sentir scruté par ses collègues. Il baisse la tête et rentre dans le bureau.

Assieds-toi, dit Michel en désignant la petite table de réunion dans le coin du bureau, avec vue sur Paris depuis la Défense.

À peine Thomas a-t-il posé son ordinateur que Michel le rejoint et commence :

J'aimerais que l'on discute de ta présentation pour la réunion de mardi prochain

Entendu, répond Thomas d'une voix tendue, tu as encore des remarques ?

En fait, commence Michel, on va changer d'approche. J'en ai discuté ce matin avec Stéphane. Le sujet est sensible, il faut que l'on soit malins. On va reporter la discussion.

Et donc on présente quoi mardi ?

Un point général sur les projets du département, classique, tout va bien, on avance sur nos projets.

On ne mentionne pas du tout le nouveau logiciel de gestion ?

Non, attendons, et on en reparle plus tard. Je sais que le sujet te tient à cœur, mais ce n'est pas le moment, tu comprends ?

Oui, bien sûr, fait Thomas en se levant.

Cinq minutes plus tard Thomas est dans la salle café, face à la machine. Il prend son téléphone et envoie un message :

ThomasSalut Gaëtan, tu es disponible pour déjeuner ? Mon chef vient de tuer mon projet, j'ai besoin d'un gros burger pour faire passer ça.
GaëtanAha, encore ton fameux Michel ? Pas de soucis pour déjeuner, par contre, j'ai déjà mangé un burger hier, pizza ?
ThomasBof, Sushis ?
GaëtanOn a déjà fait ça lundi, tu te souviens ?
ThomasOk, va pour ta pizza.

Thomas retourne à son bureau avec son café, ignorant les regards interrogatifs de ses collègues. Il est 10 h 30, il partira déjeuner dans une heure, ils éviteront la cohue du midi et son bureau vide montrera à Michel qu'il n'est pas content.

À 11 h 35 ils sont les premiers clients de la pizzeria. Gaëtan essaie de détendre Thomas :

Tu n'as pas bossé pour rien, c'est juste le troisième délai. On dit bien jamais deux sans trois non ? La prochaine sera la bonne.

J'en ai marre franchement, répond Thomas en se prenant la tête entre les mains. Ça fait trois ans que je suis dans cette boîte et je ne fais que travailler dans le vent. Je suis sur ce projet depuis six mois, tout le monde dit que c'est une bonne idée, mais personne ne veut prendre la décision. Dès que cela devient sérieux l'un des patrons trouve un prétexte pour le repousser. J'ai l'impression que cette tour de cinquante étages consacre ses journées à faire des réunions et envoyer des mails, sans que rien ne se passe.

C'est pareil chez moi, sympathise Gaëtan, ils ont présenté une nouvelle réorganisation ce matin. C'est plus ou moins la même qu'il y a deux ans.

C'est pas possible, dramatise Thomas, on ne va pas bosser encore trente ans comme ça ? Je ne veux pas finir comme Michel, désabusé au point de ne plus rien vouloir faire.

La discussion est éculée entre eux, ils en parlent à chaque fois. Leurs études d'ingénieurs les ont menés vers des emplois confortables dans lesquels ils s'ennuient déjà. La progression naturelle est de devenir un Michel démotivé, avec une maison de campagne dans laquelle s'enfuir dès le vendredi soir.

Changeons de sujet, fait Thomas, tu as vu la levée de fonds annoncée par Mobilis ce matin ? Deux-cents millions d'euros pour une simple application de GPS, c'est impensable non ?

J'ai vu, confirme Gaëtan, j'ai téléchargé l'appli. Franchement, c'est nul, techniquement ça ne tient pas la route. Mais c'est joli et tu gagnes des points quand tu partages ta position en direct, ça doit en amuser certains.

Deux-cents millions…, fait Thomas.

Gaëtan passe le reste du repas à montrer à Thomas tout ce qui ne va pas dans l'application de Mobilis. Des lenteurs, des bugs. Mais les deux doivent avouer que c'est l'application de GPS la plus pratique qu'ils ont vu jusque-là. Une fois qu'on l'a utilisé, impossible de retourner à l'une des anciennes applications. Ils se quittent en se promettant que, si un jour, ils créent leur application, elle provoquera ce fameux effet « Waouh », celui qui garanti que les utilisateurs reviendront.

Le soir, chez lui, Thomas repense à sa discussion avec Gaëtan. Il s'imagine diriger une startup et annoncer une levée de fonds de deux-cents millions à son équipe, dans des locaux flambants neufs. Plus il pense à son déjeuner, plus quelque chose d'insaisissable travaille son esprit. Tout à coup, il prend son téléphone :

ThomasGaëtan, j'ai trouvé l'idée ! LA startup qu'il faut créer.
GaëtanLà, à 22 h, devant Netflix ?
ThomasOuais. Tu es dispo pour qu'on s'appelle ?
GaëtanLà à 22 h ? Mais je suis devant Netflix
ThomasMets en pause, si tu n'es pas convaincu en 10 minutes je te laisse y retourner.
GaëtanOk, tentons le coup

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